Pour la première fois ce réalisateur se consacre au film d’arts martiaux «wuxia pian», mais au contraire des classiques du genre, il cultive la sobriété, les scènes de combat sont réduites et peu nombreuses, il ne tombe pas non plus dans les effets spéciaux caractéristiques du genre. Il a puisé son inspiration «dans un roman se déroulant à l’époque des Tang ( au IX° siècle), lu lorsque j’étais à l’université ».
«C’est aussi mon premier film qui a pu sortir dans les salles en Chine parce qu’il s’agissait d’une coproduction. La Chine a apporté la moitié du budget, le reste je l’ai trouvé ailleurs. L’investissement chinois vient des circuits officiels, et cela m’a également permis d’aller faire des repérages dans le Hubei [centre-sud de la Chine] et en Mongolie-Intérieure».
Les critiques se sont plu à voir dans ce film une comparaison avec la situation politique actuelle entre la Chine et Taïwan. Le réalisateur s’en défend fermement :
«Si ma priorité avait été de dresser une comparaison avec la situation actuelle de Taïwan, le sens de mon scénario aurait été étroit. Ce qui m’intéresse, c’est l’être humain, la famille qui s’insère dans la structure du fief. Les gens de pouvoir ont aussi leur zone de vie personnelle, ces personnages ont aussi leurs côtés émouvants».
C’est le sens profond de ce film : il met en scène une héroïne virtuose des arts martiaux qui reste femme, dont le coeur demeure influencé par ses sentiments, et c’est justement ce que lui reproche la nonne qui l’a formée. Elle n’arrive à remplir la mission qui lui a été confiée, de tuer un prince désobéissant au pouvoir central, dont elle a été amoureuse dans son enfance.
De même ce prince nous est montré dans sa vie familiale, ainsi que ses enfants, le réalisateur affirme ne pas avoir dirigé les acteurs, les avoir laissé improviser, pour un résultat tout à fait instinctif.
Cette peinture de l’âme humaine est effectuée justement par une «picturalité» de l’image mobile. Hou Hsiao-sien affirme être «très sensible [à la peinture], mais je ne me réfère à aucun peintre en particulier. Je partage avec eux l’intérêt pour la construction de l’espace et de la couleur». Depuis des années, dans ce but, il travaille toujours avec le même directeur de la photographie : le célèbre Mark Lee Ping Bing, qui a collaboré à de multiples oeuvres. Les paysages rappellent d’ailleurs les canons de la peinture chinoise classique («montagnes et eaux» 山水,) et les intérieurs font penser à certains tableaux de Giorgione, de la Renaissance italienne.
Le résultat est d’une grande beauté. Les surcadrages des intérieurs utilisent souvent une grande profondeur de champ avec de fréquentes bascules du point de netteté (alternance du flou et du net entre premier et dernier plan, entre deux personnages), clair-obscur digne de l’art baroque, voiles portés par les souffles de l’air qui font alterner eux aussi le net et le flou.
Mais ce qui fait surtout l’originalité de Hou hsiao-sien, ce qui caractérise son style, c’est l’utilisation abondante des plans-séquence, avec peu de mouvements de caméra mais une chorégraphie complexe des acteurs dans l'espace. La caméra reste immobile, sans rupture de prise de vue, sur des paysages naturels et des intérieurs magnifiques où évoluent les personnages. Le plan-séquence reste techniquement un plan unique, d'où son nom. La caméra est neutre elle «observe» dit Hou Hsiao-sien.
Cette utilisation et juxtaposition des plans-séquence entraîne un style narratif «oblique», où l’intrigue est réduite au strict minimum, et qui privilégie la suspension du temps.
«Je ne passe pas par la vie intérieure du personnage ni par l’expressivité de ses actions, je préfère rester dans l’observation».
Hou Hsiao-sien est un maître de l’image mobile qui utilise une caméra immobile, et entraînés par lui derrière la caméra, grâce à ses longs plans-séquence, nous devenons nous-mêmes «observateurs» de l’âme humaine.