Rencontre avec Mamadou Abdoulaye LY, actuellement professeur de français à l’Université Normale chinoise du Yunnan à Kunming.
Bonjour, pourriez-vous vous présenter et nous dire ce qui vous a attiré en Chine ? Bonjour, je m’appelle Mamadou Abdoulaye LY, je suis originaire de la ville de Fatick, au centre du Sénégal. J’ai fait toutes mes études, primaires, secondaires et universitaires dans mon pays natal puis j’ai obtenu une bourse pour étudier en France, à l’université Lyon 2, où je suis resté 4 ans. Ensuite, j’ai enseigné le français en Irlande, et aujourd’hui en Chine, à Kunming.
C’est la différence des cultures qui m’a attiré en Chine, le désir de connaître une culture très éloignée de la mienne : la culture asiatique. C’est un désir que je porte en moi depuis l’enfance. En effet, dans mon quartier, à Fatick, il y avait des noirs, des juifs et des asiatiques. J’ai donc grandi dans un monde multiculturel. En outre, à l’université, j’ai lu en traduction les écrits de Confucius et ceux de Philippe Solers sur la Chine. J’avais une vraie volonté de venir en Chine et lorsque j’ai vu une annonce sur internet, j’y ai répondu et j’ai été retenu.
Vous êtes à Kunming depuis le mois d’août 2011, quel bilan provisoire feriez-vous ?Je trouve que les gens ici sont plus ouverts et plus abordables qu’en Occident. En contrepartie, on rencontre une difficulté plus grande pour lier un contact sur le long terme, alors qu’en France, une fois franchi le premier obstacle de la réserve, on a plus de chance de maintenir un lien plus durable.
Par ailleurs, la société chinoise est ancienne ; elle résulte d’une longue tradition. J’en vois la trace dans la politesse des gens, qui sont plus polis qu’en Afrique et en France, quelle que soit la classe sociale. Malheureusement je sens un grand bouleversement au niveau des jeunes. Ils subissent une forme d’américanisation, il n’ont qu’un projet, partir aux USA.
Dans vos recherches, vous vous êtes d’abord consacré à J.K. Huysmans, puis à André Malraux, pourquoi ?Oui, Huysmans en premier. C’est son livre A rebours qui m’a attiré. C’est un théoricien de l’art, et dans ce livre, il rompt avec le Naturalisme, c’est un précurseur du mouvement décadent et du symbolisme. Mais il prend aussi le rôle de meneur du combat pour promouvoir l’impressionnisme, et plus tard, il découvre et défend Odilon Redon et Gustave Moreau.
Puis j’ai lu La condition humaine de Malraux qui était au programme de la licence. J’ai été frappé par son écriture fragmentée, toute en rupture, ce qui rend difficile la lecture, notamment aux lycéens. Et le lien entre les deux auteurs s’est imposé à moi : deux romanciers, deux critiques d’art.
En effet, on peut remarquer, dans vos recherches, que vous êtes passionné par la théorisation de l’art, comment est-ce arrivé ?En Occident, les gens voient une grande différence entre les arts dits « premiers » et les arts dit « nobles ». En Afrique, il n’y a pas de coupure entre l’art et la vie, l’art est partout, tout le temps. C’est la raison pour laquelle il y a tant de musées en Occident. En Afrique, il n’y en a pas ou peu.
Mais pour vous, que représente la langue française ?Ma langue maternelle est le wolof, qui n’est pas enseignée à l’école. Senghor a imposé le français au Sénégal non seulement comme langue administrative et officielle mais aussi comme langue d’enseignement. Le wolof est donc, avec l’anglais, ma langue de communication orale. Mais ma langue d’écriture, c’est le français, c’est celle qui me vient, pour ainsi dire, spontanément sous le stylo. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai décidé de venir en Chine, pour « importer » le français ici, afin de contrebalancer l’anglais.
Quels conseils donneriez-vous à vos étudiants chinois qui apprennent le français ?D’abord de lire beaucoup de livres en français, même avec un dictionnaire et d’être curieux de tout ce qui se publie en français.
Ensuite d’utiliser les images, le film et le théâtre qui complètent la lecture pour l’acquisition de la langue.
Enfin de se rapprocher des Français qui vivent ici, à Kunming, pour créer des échanges linguistiques et culturels.
Pour terminer, quel serait votre projet « coup de cœur » ?J’aimerais vraiment pouvoir développer la connaissance de la littérature africaine francophone. Je souhaite aussi que se développent des centres culturels favorisant les échanges réciproques entre l’Afrique, la Chine et la France par le biais des bibliothèques où se trouveraient, ensemble, des livres des trois pays.