« Il ne faut pas avoir peur de la Chine »Le Forum Chine et francophonie a rencontré Alain de Chalvron, grand reporter de France 2 en poste à Pékin depuis un peu plus d'un an (arrivé en août 2010). Un homme qui a passé la moitié de sa vie à l'étranger et qui a pu tester l'usage de la langue française sur tous les continents. Ses états de service, Alain de Chalvron nous les résume en introduction: « J'ai été deux fois correspondant à Washington (la deuxième fois pendant 7 ans), à Beyrouth, au Caire et correspondant à Rome pendant 6 ans. Puis, Directeur de la Rédaction de France 2. En fait, j'ai dirigé trois rédactions : la rédaction de Radio France International (RFI) de RMC et de France 2 ».
Qu'est-ce qui vous a attiré en Chine ?Je souhaitais vraiment venir en Chine, parce que dans ma carrière j'ai fait beaucoup le Moyen-Orient, l'Amérique, pas mal l'Europe aussi. Quand j'étais à RFI, je me suis occupé beaucoup de l'Afrique. Il restait un continent que je ne connaissais pas bien, l'Asie.
Donc, après avoir pendant 7 ans, goûté au plaisir de l'Amérique et avoir couvert l'élection d'Obama, c'était un grand moment ! Mais, j'avais envie de changer un peu d'orientation et de problématique, pour me consacrer à ce continent que je ne connaissais pas très bien. Alors comme le poste s'est libéré, Pascal Golomer mon prédécesseur s'en allait, j’ai posé ma candidature et puis voilà.
| Vos premières impressions ? Pour moi c'est vrai que c'est une découverte, ce n'est pas non plus un choc, parce que finalement les Etats-Unis et la Chine ont pas mal de choses en commun : ce sont deux empires, deux mondes, très peuplés, très vastes, qui se suffisent dans une large mesure... C'est quelque part, un choc culturel quand même, forcément ! Il y a la langue, c’est pas facile, il y a cette masse, c'est ce qui impressionne le plus. Aux Etats-Unis c'est l’espace, en Chine c'est la masse, c'est ce milliard trois cent millions de personnes. Puis, il faut se familiariser avec ce système, un peu schizophrénique et avec une économie complètement libérale, en réalité. Une sorte de République populaire du capitalisme (il y a un programme américain qui s’appelait « People’s Republic of Capitalism » ) et un système politique qui est communiste. Cela est un peu compliqué, car c’est une contradiction en soi, mais il faut apprendre à vivre avec. |
Mais finalement, on apprend assez vite.
C'est très intéressant, pour moi c'est la découverte d'un monde nouveau. En plus de ça, notre poste à Pékin n'est pas seulement un poste sur la Chine, c'est un poste sur l'ensemble de l'Extrême-Orient. C'est un poste passionnant ! Cela nous amène à beaucoup voyager : nous sommes allés en Corée du Nord, en Birmanie, des pays où on ne va pas souvent et pas facilement. Et au Japon, avec les catastrophes du tsunami, plus le nucléaire...
Quelles sont les priorités du bureau de France 2 en matière d'information ?Ce bureau a 16 ans, il a été créé en 95. Il a beaucoup « labouré » le territoire chinois, il a fait grosso modo tout ce qu'on pouvait faire, on est même à un stade où l'on refait ce qui a été fait. Une période intéressante, mais qui s'est un peu arrêté avec les Jeux olympiques de 2008.
Maintenant qu'est ce qui intéresse ? Je dirais que c'est d'abord essentiellement les problèmes de société de la Chine : comment va ce pays, comment vivent les gens. Comment répondre aux problème que l'on a ailleurs, comme l'environnement, la santé ...
Et autre grande problématique, c'est l'économie : c'est la deuxième économie du monde, mais comment va cette économie chinoise, dans ce contexte en particulier de crise en Europe, est-ce que la Chine aide ou n'aide pas ?
En 2012, il va y avoir des changements politiques en Chine : le congrès du parti en Octobre, avec un renouvellement total du personnel politique de la direction chinoise. J'espère qu'à ce moment là, on va aussi s'intéresser justement au système politique chinois. Comment cela se passe t-il, qui sont ces gens, que font-ils ? Essayer de percer aussi le mystère du système, en fin de compte, on ne sait pas trop comment cela fonctionne, comment est ce qu'ils gouvernent...
Beijing : Alain de Chalvron à la dernière session de l'Assemblée Populaire Y a t-il des reportages qui vous ont particulièrement marqué ?Pour ce qui est de nos reportages en Chine, j’ai surtout été frappé par deux sujets que nous avons couverts : un sujet sur les expropriations à Shanghai, on est tombé dessus un peu par hasard. Tout un quartier de Shanghai promis à la démolition et à la reconstruction. Et dans ce quartier, il y avait encore des personnes qui vivaient dans des maisons à moitié détruites et qui subissaient des pressions terribles. Pas seulement des pressions, mais des violences, cela m'a fait prendre conscience d'un grave problème, l'objet de conflits un peu partout avec les autorités locales, le sujet de grogne numéro un pour les Chinois et le gouvernement en est conscient.
Et là récemment, un sujet qui m'a touché, c'était dans le Hunan, une histoire à la fois très triste et heureuse. Maintenant, partout en Chine, il y a un problème avec l'enfant unique, il y a plus de garçons que de filles (118 garçons qui naissent pour 100 filles). Dans le Hunan et dans les campagnes (comme en général en Chine), c'est encore plus dur, parce que les filles ne veulent pas vivre à la campagne. Nous avons été dans un village de campagne, où en fait des paysans achètent des filles, mais il ne savent pas qu'en fait elles sont pour la plupart Vietnamiennes et qu'elles ont été enlevées. On s'est retrouvés dans une famille où le paysan, âgé de 34 ans, a acheté une fille dont il ne connaissait pas l'origine. La fille avait de faux papiers, elle était soi-disant d'une minorité chinoise, ce qui expliquait qu'elle ne parlait pas la langue. En fait elle a été enlevée quand elle avait 15 ans, c'est une histoire affreusement triste. Cette fille a eu un enfant avec ce paysan, et finalement cela s'est bien passé, c'est devenu quasiment une histoire d'amour ! C’était très émouvant de voir à la fois ce drame et le bonheur dans cette histoire.
La langue française est-elle un atout lorsque, comme vous, on est amené à rencontrer des gens de tous pays ?Pour moi qui ai passé la moitié de ma vie à l'étranger ( mon père était diplomate), le principal lien de proximité avec les gens c'est la langue. Je me sentirai plus proche d'un Sénégalais ou d'un Algérien (parlant français donc) des personnes avec lesquelles on pourra se comprendre et partager, que d'un voisin Allemand ou Danois...
Dans les années 70, je me souviens d’une période où j'étais correspondant au Caire. Un jour, je tombe sur un Algérien, qui m'est littéralement tombé dans les bras, en me disant: « Enfin un Français, on va pouvoir se parler, je ne comprends rien à leur arabe, je n’ai pas de lien avec les Egyptiens. Heureusement que je vous trouve, vous allez pouvoir m’aider». Cela m'avait marqué parce nous nous trouvions dans un pays arabe et que c'était un Arabe...
C'est sûr, la Chine n’est pas un pays francophone et ne le sera jamais. On ne va pas trouver des francophones en masse en Chine, mais quand on en trouve, il se passe quelque chose, on a tout de suite quelque chose en commun, on se sent en famille, même avec des Chinois francophones. Il y a des Chinois qui parlent vraiment très bien le français, sur le nombre d'habitants en Chine, c'est sûr qu'ils ne sont pas très nombreux, mais sont déjà parfaitement francophones.
Sur la Chine et les Chinois, dont on parle de plus en plus souvent en Europe, vous avez certainement pu vous faire une idée personnelle ?Si j'avais un message à faire passer, je dirais qu'il ne faut pas avoir peur de la Chine. C'est un grand pays, c'est vrai qu’ils produisent beaucoup, c'est vrai qu'ils sont assez nationalistes, qu'ils se tiennent les coudes, qu'ils ont une grande fierté d'être Chinois. Mais je ne les vois pas comme des dangers, comme des conquérants. Dans l'histoire même de la Chine, il n’y a jamais eu de volonté impériale au-delà des frontières.
C'est vrai qu’ils veulent être en sécurité, une sécurité alimentaire, économique mais sans une véritable volonté expansionniste, en tout cas je ne le vois pas. Il ne faut pas avoir peur d'un Chinois, les Chinois sont assez latins. On les comprend assez bien, ils aiment bien manger, bien boire et aiment bien discuter. Ils aiment bien rigoler, aiment bien aller au spectacle... C'est quelque part des bons vivants. On a souvent en tête l'image de ces masses de l’époque de Mao, tous habillés pareil, rien pour distinguer l'un de l’autre... Ce n'était pas du tout dans leur nature cette période là. Je pense qu'ils sont beaucoup plus dans leur nature aujourd'hui où, c'est comme je le disais des bons vivants avec qui on n'a jamais trop de problèmes.
Le reporter de France 2 porte le masque en compagnie d'une troupe de théâtre La Rédaction de Chine et Francophonie