A Shanghai, pendant mon dernier voyage en Chine en avril, j’ai retrouvé Xinjiletu, étudiant chinois que j’accompagne dans ses études depuis septembre 2013
Pouvez-vous vous présenter, nous dire d’où vous venez en Chine ?Je m’appelle Xinjiletu ZHAO, j’ai 25 ans et je suis né dans la province autonome de Mongolie Intérieure. Ma famille habite la steppe, un village à l’Est, proche de la frontière du Liaoning, Wulan Haote. Je n’ai jamais vécu dans une yourte ni transhumé, car mes parents sont des bergers sédentarisés, ils habitent une maison en briques, ils élèvent des moutons, des vaches et des chevaux. Ils comprennent la langue chinoise mais ne la parlent pas.
J’ai suivi toute ma scolarité, depuis la maternelle jusqu’en terminale dans ma province, en langue maternelle, le mongol, qui est chez nous la langue de scolarisation. A partir de la 3° année de primaire nous suivons un enseignement de chinois langue étrangère de 3h par semaine. A partir de la 5° année de primaire nous commençons l’apprentissage de l’anglais.
Ensuite je suis allé au collège et j’ai passé le « zhong kao », examen d’entrée au Lycée. C’est dans la capitale de la province, Huhot, que je suis allé au lycée. Comme j’ai eu de très bonnes notes au « gao kao » (le Bac), je suis entré à l’Ecole Normale Supérieure de Pékin (Beijing Shi Fan Ta Xué), pour devenir enseignant.
J’ai fait une licence d’anglais en 4 ans mais au cours de la 2° année j’ai pris le français comme 2° langue. J’ai terminé ma licence en juillet 2011 et suis arrivé en France en octobre.
Pourquoi justement êtes-vous venu en France et particulièrement à Grenoble ?Plusieurs raisons ont guidé ce choix.
Tout d’abord, à la fin de ma licence d’anglais, où j’avais un bon niveau, j’avais acquis également un très bon niveau en français. Aussi mon professeur de français me conseilla-t-il de partir en France pour me perfectionner, ce qui me procurerait encore plus d’ouverture pour l’avenir.
Et aujourd’hui, je préfère le français, c’est ma langue de coeur, l’anglais n’étant pour moi qu’une langue utilitaire.
Par ailleurs ce choix de la langue française est complètement affectif et émotionnel. En effet mon premier contact avec elle a eu lieu au collège, en 3° année, à l’occasion d’une récitation, incontournable pour les tous élèves chinois (elle est inscrite au programme), et pourtant inconnue des jeunes français d’aujourd’hui. Il s’agit de « La dernière classe » d’Alphonse Daudet et qui évoque la guerre de 1870 contre la Prusse. (« Les contes du lundi »)
D’emblée ce texte s’est imposé à moi, beaucoup plus que pour tous les autres élèves chinois, et aussitôt je me suis dit : « Un jour j’apprendrai le français et j’irai en France ! ». Avec le recul je pense que si ce texte à résonné aussi fortement en moi c’est à cause de mon appartenance à une minorité ethnique, dont la langue est minoritaire et fragilisée, question qui est évoquée dans ce texte de Daudet.
La dernière raison est économique, comme pour beaucoup d’étudiants chinois. Les études en France sont beaucoup moins chères qu’aux USA ou qu’en Angleterre. Les frais d’inscriptions à la Fac (je ne parle pas des grandes écoles privées prestigieuses), sont beaucoup moins onéreux, les étudiants étrangers bénéficient d’avantages similaires à ceux des étudiants français : assurance maladie, visites médicales gratuites, allocation logement, réduction dans les transports en commun. Et la vie en France, surtout en province, comparativement aux deux autres pays, est moins chère, les déplacements moins longs.
Il y a aussi toute la culture française que je voulais approcher.
Oui mais pourquoi venir précisément à Grenoble ?Parce que Grenoble et l’Université Stendhal sont réputées dans le monde entier pour l’enseignement du Français Langue Etrangère, notamment en Chine. Elles me furent recommandées par mon professeur de français de Pékin. Beaucoup de manuels de FLE ont été écrits par des professeurs de l’Université Stendhal, nous les utilisons en Chine.
Et enfin c’est la capitale des Alpes et moi je ne connaissais que la steppe, plate à l’infini ! J’étais curieux de découvrir de nouveaux paysages.
Actuellement vous enseignez le FLE ici à Shanghai ?Pour le Master 2 de FLE j’ai obligation de faire un stage de 4 mois d’enseignement. Je suis donc professeur dans un institut privé de Shanghai, j’enseigne à des élèves de 17-18 ans de 2° année de lycée, l’équivalent de la 1ère en France. Ce sont des débutants. C’est une grande satisfaction pour moi de transmettre mes savoirs. De plus j’ai introduit une dimension culturelle dans mon enseignement, 30 mn par module de 2 h. Cette dimension permet d’aborder beaucoup de thèmes qui favorisent les échanges. C’est un enseignement beaucoup plus actif et participatif.
J’ai une grande satisfaction car leurs parents les ont obligés à apprendre le français et maintenant ils l’aiment. Mais je m’aperçois aussi que leur vision du monde et d’eux-mêmes, de leur propre vie a changé. Si l’enseignement se montre tel qu’il est, alors il propose aux apprenants, par la force des choses, son point de vue sur la vie et la société. Ils peuvent comparer avec d’autres approches et se faire alors leur propre opinion.
Je suis content aussi d’apporter ici, à Shanghai, de nouvelles méthodes d’enseignement que j’ai pratiquées souvent à l’Université Stendhal, particulièrement ces méthodes actives basées sur l’échange et la communication. Du coup les élèves prennent de nombreuses initiatives en dehors de la classe.
Quels conseils donneriez-vous aux étudiants chinois qui veulent venir étudier en France ?Vraiment je pense qu’avant de partir ils faut s’investir au maximum dans l’apprentissage du français, c’est beaucoup de temps de gagné à l’arrivée.
Meilleur sera leur niveau au début, plus ils auront d’atouts et d’avantages sur les autres pour les examens, et moins ils auront de stress. C’est très important avant d’arriver en France.
Le deuxième conseil que je pourrais leur donner c’est de bien étudier à l’avance leur projet d’études, qu’il soit suffisamment précis, et surtout en lien avec leur formation en Chine. Sur place, en France il est très difficile de se décider. Il ne faut pas oublier qu’en plus de la langue courante à apprendre, il y a la langue technique de chaque discipline, c’est un avantage de la connaître en chinois.
L’inscription à l’université est plus difficile qu’on imagine : 5 mois d’étude de la langue n’autorise pas forcément d’entrer à l’université, c’est le niveau de langue qui, seul, le permet.
Par ailleurs, ce ne sont pas les mêmes méthodes qu’en Chine où il y a toujours des supports pour les cours, papier ou numériques. En France il n’y a rien du tout, ce sont beaucoup de cours magistraux qui nécessitent une très bonne compréhension orale et de prendre des notes très rapidement.
Enfin il ne faut surtout pas idéaliser la France, sinon ils seront très déçus. Il est nécessaire de s’informer le plus possible sur la France et les Français. Partout dans le monde, tout est difficile pour l’étranger,
Pour terminer, pourriez-vous nous dire vos projets pour l’avenir ?Après mon stage, fin juin, il me faudra rédiger mon mémoire de Master 2. L’année prochaine j’ai le projet de passer 2 ans dans un pays arabophone, (j’ai commencé l’apprentissage de l’arabe depuis que je suis à Grenoble), pour me perfectionner dans cette langue. Puis je rentrerai en France pour faire un doctorat, mais je n’ai pas encore décidé du sujet, c’est bien trop tôt.