(40) Considérations serpentines

Le serpent, qui fut l’un des rares habitants de l’Eden, est sans doute à l’origine du monde puisque c’est lui qui suggéra à Adam et Eve de croquer la pomme. L’humanité lui doit donc une fière chandelle. Pourtant, cette initiative l’a beaucoup desservi. Depuis ce jour, il incarne le démon tentateur, le vice, la perfidie. Aussi venimeux que sinueux. Il n’a que des défauts, que l’on attribue à l’homme quand on veut l’avilir : paresseux comme une couleuvre, langue de vipère…
Mais il fascine. C’est son pouvoir. Il n’en abuse pas. C’est un animal à sang froid. De courageux artistes orientaux ont réussi à le charmer en jouant de la flûte, à le faire danser. Des Parisiennes de la Belle Epoque qui n’avaient pas froid aux yeux, se sont enroulé des boas autour du cou. Pour la forme. Ce n’étaient que plumes et fanfreluches. Mais ça faisait de l’effet. Le serpent nous inspire. On s’y réfère à la moindre fluctuation. En 1972, les économistes européens, experts en espèces sonnantes, ont créé un serpent monétaire qui leur a glissé entre les doigts. Il n’en faisait qu’à sa tête. On la lui coupa en 1978. La fuite des capitaux ? Un serpent de mer (1), répondent les susdits. Allusion à ce monstre écossais et à ses congénères d’ici et d’ailleurs qui, à intervalles réguliers, sortent la tête de l’eau pour amuser la galerie. La sinusoïde traverse nos mémoires comme le serpent la route. En dansant et vibrant.
D’où il ressort, à l’occasion de l’année du Serpent, qu’un peu de considération s’impose pour ce reptile avec qui nous partageons quelques circonvolutions de matière grise (2). Une créature qui ondule et se love à longueur de temps, sous le soleil, s’affublant parfois de lunettes ou de sonnettes, comme une star d’Hollywood, ne peut être tout à fait mauvaise.

Leçon 40
Dire et écrire:
Cette langue de vipère ne cessait de vitupérer contre le serpent de mer des paradis fiscaux
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(1) Expression journalistique désignant un sujet ou un projet régulièrement évoqué et disparaissant aussi vite qu’il est apparu.
(2) Nous avons en effet un cerveau reptilien, dit aussi primitif. Cette partie de notre cortex, comparable à celle des oiseaux, poissons, reptiles, est censée assurer la survie de l’individu et de l’espèce.

Bonsoir Chris, ni hao, ni hao ma? (你好吗？)

Je me suis régalé à lire tes commentaires sur le serpent (蛇). Mais je voudrais ajouter une petite note positive et amusante que nos amis Chinois comprendront.

C'était en mai, il y a une dizaine d'années si j'ai bon souvenir, à Canton (广东), après une journée passée à la Foire. Nous étions fatigués et affamés et des amis Chinois m'ont proposé de dîner (吃饭) dans un de ces nombreux restaurants qui bordent la rivière des Perles (珠江). C'est une expérience que je recommande à ceux qui me lisent car assez unique. Vous pouvez là déguster tout ce qui, saute, vole, rampe: des crapauds, des sauterelles, des cafards, toutes sortes de chenilles et même du serpent.

Et j'y ai eu droit. On nous a présenté un serpent vivant d'environ un mètre de long, tenu par la queue, la tête en bas. Sur l'approbation satisfaite de mes amis, la pauvre bête a eu la tête coupée sous mes yeux effarés. Le cuisinier avait eu soin de placer un bol à sa verticale et a recueilli le sang (血)qui s'est écoulé à grand flot. C'est un grand honneur d'offrir ce sang plein de vertus de toutes sortes à son invité. C'est ce qu'ont fait mes hôtes et j'ai dû boire (喝) sous leurs yeux épanouis ce liquide visqueux mais ô combien énergétique !
Cuit, ce serpent ressemblait étrangement à une anguille que ce soit en consistance, charpente d'arrêtes ou goût. Mes amis Chinois se régalaient. Je vous laisse faire l'expérience: bon appétit (慢慢吃)

Domi

Très honoré d'avoir parmi mes amis, un routard qui a mangé du serpent.