| Musicien professionnel, ce Lillois né à Paris a consacré toute sa vie au violoncelle jusqu’à l’âge de 19-20 ans. Des concours de circonstances l'ayant amené à apprendre le chinois, il s’est aventuré en Chine par curiosité et a fini par multiplier les allées et venues entre les deux pays. Bref, ce jeune Ch’ti s’est entiché de la Chine. Une blessure au poignet l’ayant contraint à arrêter la pratique du violoncelle, il poursuit intensivement son apprentissage du chinois, à raison de dix à quinze heures par jour. La Chine devient sa deuxième patrie. Il s'installe à Pékin où il a exercé plusieurs petits métiers. Son étonnante maîtrise de la langue (il est capable d'imiter divers accents des différentes régions chinoises) lui ouvre beaucoup de portes. Depuis 2003, il présente des émissions de radio et télévision. En 2004, il s'initie à l'art du Xiangsheng, le comique traditionnel chinois. Le talent qu'il y manifeste obtient vite un gros succès sur le petit écran. |
Un Français qui fait rire les Chinois, cela ne s'était pas vu depuis longtemps ! De quoi faire pâlir d'envie Dany Boon, un Ch'ti presque aussi connu que notre invité du jour.
Homme de goût, féru de culture chinoise, Julien Gaudfroy, aujourd'hui marié à une Chinoise et père de famille, est devenu une véritable star au pays du Milieu où on le connaît sous le nom de Zhu Li An (朱力安). Il se présente aujourd'hui, à 32 ans, dans un nouveau rôle, celui de patron de restaurant. Il vient en effet de concrétiser un rêve en ouvrant à Beijing un bistrot à la Parisienne "Chez Julien", juste en face de l'Ambassade de France. Il a ouvert les portes de son établissement au Forum Chine et Francophonie.
Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans la restauration , qui n’est pas vraiment dans vos cordes ?Il y a plusieurs raisons, en fait . Pour commencer, je ressentais un manque ici à Pékin, il y a eu quatre restaurants français que j’appréciais beaucoup mais qui ont hélas fermé en l’espace de deux ans et cela m’a vraiment donné envie de faire quelque chose. Comme vous le dites, ce n’est pas du tout ma profession, c’est un métier que j’apprends et qui est très difficile. Je sais que beaucoup de personnes veulent ouvrir un restaurant français dans la capitale chinoise. Certains se sont ouverts depuis.
L’esprit bistrot, que vous défendez, comment le définissez-vous ?Je pense qu’on a besoin de plus en plus de présenter la cuisine française sous un autre aspect et je me bats pour cela. Souvent on me dit, pour la présentation il faudrait que tu fasses quelque chose de plus classe, mais je tiens à rester dans l’esprit bistrot. On peut faire des choses plus jolies, mais je ne veux pas que l’on tombe dans le gastronomique. Je veux rester dans l’idée d’avoir de bons produits, je suis très à cheval là-dessus, on peut faire quelque chose de simple, de qualité et rester dans l’esprit familial et traditionnel, du côté bistrot, et ne pas avoir « trois petites carottes qui pointent le nez vers le ciel ». Je veux montrer aux Chinois que la cuisine française c’est aussi ça, on peut avoir une bonne assiette pour pas trop cher, avec pour les formules midi des repas à seulement 70-80 RMB par personne et le soir environ 200 RMB. Je ne veux pas fermer la porte à l’étudiant, par exemple, qui veut inviter sa petite amie pour un dîner romantique, qui veut déguster une vraie cuisine française sans pour autant dépenser une fortune. Ceux qui viennent ici verront qu’il y a beaucoup de Français et d’Occidentaux qui reconnaissent l’ambiance parisienne et française. C’est vraiment un besoin qui est venu de l’intérieur après toutes ces années passées à Pékin.
Votre bistrot est rue de la Chance. C’est un hasard ?Pas du tout, je peux vous dire que c’est un endroit très convoité. Et l’aide de certains amis a été précieuse. Non seulement l’établissement se trouve près d’un centre commercial qui connaît un grand succès dans la capitale mais on est en face de l’Ambassade de France, près de l’Ambassade des Etats-Unis et à proximité d’un grand hôtel. Il y a beaucoup d’Allemands et de Français qui habitent pas loin d’ici, la Chambre de commerce et d’industrie se trouve aussi à proximité. C’est un quartier international et bien évidemment stratégique.
Quels ont été vos choix pour l’aménagement et la décoration intérieure ?C’est quelque chose qui me tenait à coeur et j’insiste, je voulais vraiment faire un bistrot à la parisienne. J’ai installé des banquettes dans les tons bordeaux et des chaises de bistrot en cuir avec les dossiers un peu arrondis. Cela ne se trouve pas en Chine, je les ai fait faire et cela a coûté cher d’ailleurs, mais je voulais créer cette ambiance spéciale. J’ai choisi des tables en bois sans nappes. Beaucoup de Chinois sont fascinés par la Provence et m’ont dit : Ah, mais il faudrait mettre des nappes comme ceci ou comme cela, dans les tons dans les bleu ciel, bleu lavande... Mais je tiens bon, je ne veux pas avoir un style provincial ! Parce qu’une fois que l’on a un style qui rappelle une région en particulier, il faut la cuisine qui va avec... Moi ma cuisine, elle représente un peu toute la France. Si j’étais en France, j’aurais fait quelque chose de différent, mais ici en Chine, je voulais satisfaire l’envie des Français qui sont ici depuis de nombreuses années et des Chinois qui ont passé plusieurs années en France, qui peuvent avoir la nostalgie de la France et les remettre dans le bain. Ici, bien sûr, on a plusieurs plats régionaux comme la tartiflette, le boeuf bourguignon... On reste dans la mesure de ce l’on peut faire, comme je l’ai dit, je voulais surtout éviter le côté provincial. Je veux vraiment que les gens qui rentrent ici, se disent : « Ah, on est à Paris ! »
Vous êtes en quelque sorte le chef d’orchestre de cet établissement. Qui sera au piano ?Pour parler de notre cuisine, le chef est un Français, que mes deux frères surtout connaissent bien, qui était à Lille et possède une bonne expérience acquise dans différents bistrots. Pour moi, c’est une crème ! De nombreux chefs ont très mauvais caractère ; lui, il a du caractère, mais il n’est pas caractériel, c’est quelqu’un de très ouvert, on discute ensemble des plats, je peux aller le voir à tout moment et lui dire tel plat ne marche pas, il faut qu’on fasse quelque chose... Cela était très important pour moi, car on dit toujours que les Chinois sont très soucieux d’avoir quelque chose d’authentique, que ce soit pour la cuisine occidentale ou chinoise, mais souvent authentique ne veut pas dire grand chose, car dans une même ville il y a différentes façons de préparer les spécialités. Chaque chef à sa touche personnelle, reste à choisir les recettes qui fonctionnent le mieux.
Vous connaissez la musique, vous n’aimez pas les fausses notes et vous allez donc mener tout cela à la baguette ?C’est un projet personnel qui s’appelle « Chez Julien », donc avant tout il faut que cela me plaise à moi ! Mais par moment je dois reconnaître qu’il y a des choses que j’aurais proposé d’une autre manière, mais le client généralement préfère de cette façon là, donc je me tais, il faut aussi écouter le client. Il y a beaucoup de petits détails par exemple, le choix d’une pâte brisée ou sablée, parfois on va mettre un peu moins de sucre, parce que souvent les Chinois n’arrivent pas à manger aussi sucré que nous. Une chose dont je suis fier, nous avons un très bon foie gras, fait en Chine par la société française Rougié, dans le respect des normes de chez nous, qui sera servi en tranches. C’est un mets d’une excellente qualité, préparé par le chef avec de l’armagnac.
Par exemple, nous avons aussi la crème brûlée qu’on fait avec de vraies gousses de vanille (pas d’extrait de vanille... On essaie de rester pas cher, mais pour moi c’est très important, je préfère avoir une présentation beaucoup plus simple mais avec de vrais produits et ça c’est vraiment l’esprit de la maison.
Quelle est la spécialité maison la plus demandée ?De toutes nos spécialités, je pense que c'est le boeuf bourguignon qui fait rêver le plus de gens. Enormément de clients voient le nom et en salivent d'avance, surtout les Chinois. Bref, le boeuf bourguignon avec une sauce au vin rouge, ça plaît beaucoup. La tartiflette aussi fonctionne bien. Le client français est plus familier avec tout le reste, le steak tartare, le hachis Parmentier de poisson, le confit de canard.
Si on parle de cuisine française, en général quels sont les plats préférés des Chinois ?Les Chinois aiment le foie gras et aujourd’hui je fais un gros travail de rectification car pour les Chinois le foie gras c’est toujours de l’oie et c’est une erreur de traduction. Depuis le début, le foie gras c’est neutre : cela peut être de l’oie ou du canard et en France le foie gras est à 98% du foie gras de canard. Il faut dire que le canard est plus facile à élever que l’oie, que les canards sont en général plus nombreux que les oies. En fait, c’est un problème : les Chinois voient que l’oie est plus chère, donc il s’imaginent que l’oie est meilleure. Outre le prix il faut dire qu’il faut plus de temps pour élever une oie qu’un canard, qui est de moindre taille. Mais finalement, d’un point de vue gastronomique, culinaire, les grands chefs, choisissent de travailler avec du foie gras de canard. Beaucoup de gens préfèrent le canard et je pense qu’on fait de moins en moins de foie gras d’oie. Mais ici, dès qu’on parle de foie gras de canard -en chinois il n’y a pas le terme gras, car littéralement on parle de « pâté de foie » - ils ont l’impression que c’est du bas de gamme. Tout cela pour dire que sur ma carte, contrairement à plusieurs restaurants, c’est quelque chose que j’explique à mes clients.
Vous pouvez nous mettre en appétit avec quelques plats figurant sur la carte ?Je pense que dans une ville comme Pékin, ce qui importe, c’est de montrer la vraie France, avec ses fromages et ses vins. Même s’il existe quelques bons vins chinois, nous travaillons exclusivement avec des vins français. On propose un plateau de fromages et charcuterie, avec pour le fromage une collaboration avec notre ami chinois le fromager de Pékin, car s’il y a de la bonne qualité au niveau local, pour nous c’est aussi la direction à prendre.
Par exemple au niveau du fromage en Chine, il y a de plus en plus d’exportations, ce qui permet de casser les prix. Les Chinois, de plus en plus, apprécient le fromage, c’ est entré dans les moeurs, on le trouve dans les pizzas, le fromage fondu plaît , c’est pour ça notamment que la tartiflette est tant appréciée. A ma grande surprise, notre salade de chèvre - des tranches de pain campagne grillées avec une couche de chèvre chaud accompagnée d’ une petite pointe de miel - a beaucoup de succès.
Nous avons aussi un dessert baptisé le Ch'tiramisu fait avec des speculos, ces biscuits au caramel du nord de la France et de la Belgique. Peut-être un peu trop sucré pour les Chinois. On est en train de modifier la recette pour répondre à leurs attentes.
Voir, L'invité du jour : Hugues Van Poucke